Patrimoine et inventaire de Nouvelle-Aquitaine

Mention : p. 40-41

ISBD/Commentaire :

Menier, Marcel. " La méthanisation des vinasses : des consommateurs devenus producteurs d'energie ". L'Actualité scientifique, technique, économique. Poitiers, juin 1988.

La méthanisation des vinasses : des consommateurs devenus producteurs d´énergie. Extrait de l'Actualité scientifique, technique, économique, juin 1988, Poitiers.

La distillation du vin blanc en vue d'élaborer l'eau-de-vie de Cognac produit une quantité importante d'effluents à charge organique élevée, appelés " vinasses ". Actuellement, la production annuelle d'eau-de-vie étant de l'ordre de 450 000 hectolitres d'alcool pur, les vinasses représentent un volume de 380 000 mètres-cubes contenant une pollution organique équivalente à celle de 1 200 000 habitants, pendant les six mois de la campagne de distillation.

Dès 1966, la Société MARTELL a fait étudier plusieurs procédés de dépollution de ses rejets. En 1971 a été mis en œuvre le procédé de concentration, dans une usine créée spécialement par le Groupement d'Intérêt Economique " Récupération des Vinasses de Cognac " (REVICO), regroupant une dizaine des plus importantes distilleries des environs de Cognac, soit un tiers des vinasses produites.

Les chocs pétroliers successifs ont incité REVICO à rechercher les moyens d'économiser l'énergie pour opérer la concentration des vinasses, puis même à changer de procédé de traitement.

La voie de la méthanisation, déjà expérimentée par le Laboratoire de I.N.R.A. de Narbonne et mise en œuvre à Condom pour le traitement des vinasses d'Armagnac, a été retenue.

Parallèlement, REVICO ayant constaté la baisse régulière du prix du tartrate de chaux résultant de son procédé antérieur de concentration des vinasses (récupération de l'acide tartrique), a été amené à envisager la méthanisation des vinasses brutes sans passer par la concentration.

En mars 1984, a été entreprise la construction des digesteurs et de leurs annexes, la Société Générale pour les Techniques Nouvelles étant chargée de l'enginéerie et le Centre National du Machinisme Agricole du Génie Rural des Eaux et des Forêts intervenant comme ingénieur-conseil.

Les effluents à traiter

L'usine REVICO, à Saint-Laurent de Cognac, traite, d'une part, les vinasses de vin collectées par des camions-citernes dans plusieurs distilleries de la région, d'autre part, les vinasses de lies produites par la distillerie d'alcool d'Etat installée dans l'usine même.Les caractéristiques de ces deux types d'effluents sont différentes.

Les débits à traiter atteignent au maximum 95 mètres-cubes par heure pour les vinasses de vin et 10 mètres-cubes par heure pour les vinasses de lies. La capacité des bassins de décantation des vinasses permet une alimentation des ouvrages de traitement à débit constant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de novembre à avril.

Le traitement est effectué par voie anaérobie, à 37° C, séparément pour les deux types de vinasses. A l'aval de la méthanisation, un traitement aérobie par lagunage aéré complète l'épuration, avant rejet de l'effluent dans le milieu naturel (voir schéma de principe ci-contre).

- Pour les vinasses de vin, la filière de traitement des vinasses décantées comprend un digesteur à film fixé avec un garnissage de " Flocor R ", suivi d'un dégazeur et d'un décantateur.

La biomasse active est ici piégée dans les interstices du support et l'obtention d'un long temps de rétention des boues permet l'application de charges volumiques élevées. Ce procédé est réservé à des effluents peu chargés en matières en suspension, en raison des risques de calmatage.

Le digesteur à biomasse fixée fonctionne à flux descendant et comporte une recirculation. Il est conçu pour traiter 85 % de la charge polluante totale.

- La filière vinasses de lies traite le décantât du mélange des vinasses de vin et des vinasses de lies, ainsi que les boues provenant du traitement aérobie et celles du décanteur de la filière vinasses de vin.

Elle comprend un digesteur infiniment mélangé de 4000 mètres-cubes, brassé par un circuit de recirculation et injection de bio-gaz. Normalement, les boues sont évacuées par surverse, stockées et centrifugées ; le liquide est renvoyé dans le digesteur à biomasse fixée.

- Le gaz produit par les digesteurs est décompté puis utilisé dans l'usine-même et l'excédent brûlé par une torchère.

Le gaz valorisé est comprimé à 270 millibars et conduit soit vers une chaudière pour produire de la vapeur à 10 bars, soit vers deux moteurs thermiques qui entraînent chacun un alternateur d'une puissance de 400 kW. La vapeur produite est utilisée principalement pour le fonctionnement de la distillerie d'alcool d'Etat, le reste servant à la fabrication d'eau chaude et au dégazage thermique de l'eau de chaudière.

Un ordinateur gère l'utilisation du gaz et l'envoie, en fonction de la demande et des tarifs applicables pour l'énergie électrique, soit vers la chaudière à vapeur, soit vers les groupes électrogènes. Un premier traitement des vinasses est effectué. Un traitement complémentaire aérobie est encore nécessaire avant rejet à la rivière ; il est assuré par une lagune aérée de 10 000 mètres-cubes, équipée de onze turbines flottantes de 30 chevaux chacune.

Premiers résultats

L'examen des résultats des campagnes de distillation 84-85 et 85-86 permet, d'une part, de tirer les premières conclusions sur les résultats techniques de l'installation, du point de vue de l'élimination de la pollution et de la production de biogaz, d'autre part, de faire les premières constatations sur l'intérêt économique du procédé de valorisation des vinasses.

Une série de mesures ont été effectuées courant février 1986. Les résultats obtenus démontrent que la méthanisation est un bon " outil " de dépollution.

Durant la campagne 85-86, qui s'est terminée fin mai, la production totale de biogaz a dépassé 1500 T.E.P., sous forme d'un gaz contenant en moyenne 40 % de CO2. Ce combustible a été consommé à :

- 64 % dans une chaudière produisant de la vapeur à 10 bars pour alimenter la distillerie d'alcool d'Etat ;

- 26 %, dans deux moteurs thermiques pour la production d'énergie électrique et d'eau chaude à 40 % ;

- 10 %, en perte dans la torchère.

L'investissement total de l'ensemble de l'unité a été de 19 millions de francs en 1984.

Compte tenu de l'énergie produite (environ 1 200 T.E.P.) et de l'énergie " non utilisée ", du fait de l'arrêt de la concentration des vinasses (3 000 T.E.P.), l'économie d'énergie dépasse 4000 T.E.P. environ.

Après deux années de fonctionnement de l'installation, les principaux résultats obtenus montrent donc un bilan d'énergie largement excédentaire : 20 % seulement de l'énergie produite est nécessaire au fonctionnement de l'étage de traitement anaérobie ; elle dépasse les besoins de l'usine (dépollution et distillation).

L'investissement d'une telle installation peut paraître important, mais il est rapidement rentabilisé par les économies dues à l'énergie produite : le temps de retour se situe entre quatre et cinq ans, pour une unité ne fonctionnant que six mois par an.